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Là, sur le toit du palais, devant ces hommes, son esprit déjà accoutumé au sentiment de sa victoire ne pouvait se faire à celui de la défaite qui le menaçait. Pourtant, ils étaient trop nombreux pour qu’il pût tenter de leur résister. Cela pourtant n’affaiblit point sa détermination. L’Impératrice savait sans aucun doute, lorsqu’elle avait donné l’ordre de l’intercepter, qu’il ne pourrait que tirer les conclusions les plus graves et se battre avec tous les moyens qui lui tomberaient sous la main. Le temps de la subtilité, de l’innocence mise à mal, de l’habileté était passé. Sa voix profonde rompit le silence :

— Que me voulez-vous ?

A plusieurs reprises déjà, il y avait eu des instants capitaux de l’histoire du monde où des interpellations comme celle-ci, venant de lui, avaient produit une hésitation, entravé l’action d’hommes infiniment plus brillants que ceux qui l’entouraient à ce moment. Pourtant, cette fois-ci, le charme n’opéra pas.

Hedrock se sentit désarmé. Ses muscles, prêts à la course qui lui aurait fait traverser leurs rangs pétrifiés, demeurèrent comme paralysés. Le grand avio-car qui lui semblait si près l’instant d’avant, paraissait maintenant hors d’atteinte. Inutile d’essayer de l’approcher : sa situation était désespérée. Seul avec une arme contre vingt armes ! Bien sûr, la sienne avait des pouvoirs surhumains et, comme toutes les armes de la Guilde, créait un demi-cercle défensif autour de son propriétaire, suffisant pour s’opposer au feu de huit armes ordinaires, mais il n’était pas de ceux qui sous-estimaient la puissance des armes adverses.

A peine avait-il pris conscience amèrement de sa mauvaise situation, qu’il éprouva un soulagement lorsque le jeune homme à forte carrure qui lui avait annoncé son arrestation s’avança vers lui et souffla :

— N’opposez aucune résistance, monsieur l’Armurier Jones. Suivez-nous sans bouger.

— Jones ! s’écria Hedrock.

Il avait été tellement surpris que le mot lui avait paru inoffensif. Il avait tout d’un coup éprouvé un tel choc et en même temps un tel soulagement ! Un instant, le gouffre qui séparait sa première analyse de la situation et cette réalité soudaine et inattendue, ce gouffre semblait trop grand pour qu’on pût le franchir sans un effort surhumain de volonté. Il lui suffit d’une seconde pour se maîtriser, reprendre le contrôle de soi et se détendre. Son regard se dirigea avec appréhension, en un éclair, vers les gardes du palais qui se tenaient à quelque distance des policiers en civil, et il constata qu’ils agissaient plus en spectateurs amusés qu’en participants. Il soupira en voyant qu’ils semblaient ne rien soupçonner.

— Je n’opposerai aucune résistance, dit-il.

Les policiers l’entourèrent et le conduisirent vers l’avio-car. L’appareil prit son vol en douceur. Le souffle coupé, Hedrock se laissa aller dans un fauteuil, derrière l’homme qui lui avait donné le mot de passe des Armuriers pour cette journée.

— Bien réussi, dit-il chaleureusement, ayant retrouvé la parole au bout d’un moment. Très audacieux et efficace, dirai-je, bien que vous m’ayez donné un sacré coup au coeur.

Il sourit au souvenir de l’événement. Il allait poursuivre quand il s’aperçut que son auditeur ne lui avait pas adressé en réponse de sourire de sympathie. Les nerfs encore tendus du fait de l’extraordinaire situation, il se braqua sur ce petit fait.

— Puis-je vous demander votre nom ? dit-il.

— Peldy, dit poliment l’homme.

— Qui donc a eu l’idée de vous envoyer ici ?

— Le conseiller Peter Cadron.

— Je vois, dit Hedrock en secouant la tête. Il a pensé que si je parvenais à me frayer un chemin jusqu’à l’aéroport du toit, c’était là que j’aurais besoin d’un coup de main.

— C’est là, sans aucun doute, une partie de l’explication, dit Peldy.

Ce jeune homme semblait bien froid et ce côté glacé de sa personne surprenait Hedrock. Rêveusement, il considéra ce qui se passait au-dessous de lui à travers le sol transparent de l’appareil. Suivant les règlements de sécurité, celui-ci se dirigeait assez lentement vers le coeur de la cité. Les gratte-ciel de deux cents étages semblaient frôler l’avion. Hedrock se demanda : « Me soupçonneraient-ils ? » Cela n’était pas impossible. A vrai dire, et cela faisait sourire intérieurement Hedrock, plein d’une certitude peu amusée, tout ce qui s’était passé était nettement suffisant pour que les esprits tordus de certains membres de la Guilde voulussent s’intéresser de très près à son cas. Sur le coup, c’était assez déprimant. En effet, bien qu’il eût avec eux des années d’expérience, ces devins, ces surhommes avaient toujours inventé mille balivernes le concernant. Il ne pouvait guère se protéger d’eux, car ils avaient été formés dès l’enfance suivant des techniques étrangères à sa psychologie à lui, qui avait reçu une éducation intégrative temporelle antérieure à l’invention de techniques mentales aujourd’hui si dangereuses pour lui. Il ressentit un peu de la fatigue de toutes ces longues années. Un instant, son but transcendant, qui exigeait de lui qu’il laissât ignorer son immortalité à tous les hommes, lui pesa. Il parvint à se reprendre pour dire :

— Où m’emmenez-vous ?

— A l’Hôtel.

L’Hôtel, c’était l’Hôtel Royal Ganeel, état-major des Fabricants d’Armes dans la capitale. Y être emmené signifiait qu’il s’était passé quelque chose de sérieux. Il regarda l’avion descendre vers le jardin terrasse du toit de l’Hôtel, l’esprit tendu parce qu’il savait que les Armuriers n’étaient pas gens à prendre des risques inutiles. Cela leur était impossible, leur existence même dépendant du fait que leurs secrets restassent des secrets. Si jamais ils avaient pu se douter que quelqu’un, comme c’était son cas, connaissait quelques secrets essentiels de leur organisation, sa vie ne pèserait pas lourd au regard de la sécurité de tous dans un monde implacable.

Il ne fallait pas, bien sûr, oublier l’Hôtel lui-même. Le Royal Ganeel devait avoir environ deux cents ans d’âge. Si ses souvenirs étaient exacts, il avait coûté sept cent cinquante milliards de crédits. Massif, l’édifice couvrait quatre blocs de la cité. Depuis lors, il s’était élevé pyramidalement, conçu suivant l’architecture style « chute d’eau », de l’époque, s’achevant à six cents mètres de haut par un jardin surélevé de deux kilomètres sur deux, dont les paysagistes avaient su dissimuler les dures lignes carrées. Il l’avait fait construire en mémoire d’une femme remarquable qui avait été en son temps elle aussi impératrice d’Isher, et dans chaque chambre avait fait installer un appareil qui, lorsqu’on savait y adapter un branchement énergétique, fournissait un moyen super-vibratoire de s’échapper.

Malheureusement, le branchement énergétique était un des trois anneaux qu’il avait laissés dans son appartement au palais. Hedrock fit une grimace en y pensant, tandis qu’il se dirigeait vers les ascenseurs avec ceux qui l’accompagnaient. Pourtant, il avait longuement hésité avant de décider de ne porter que l’anneau-arme, de façon que ne naissent point de soupçons quant à ces remarquables appareillages secrets des Fabricants d’Armes. Il y avait bien sûr d’autres anneaux de contact répartis un peu partout dans des caches secrètes à l’intérieur de l’Hôtel, mais il était peu probable qu’un homme escorté de vingt gardes l’emmenant dans l’un des quartiers généraux des Armuriers de la cité impériale, ait le loisir d’aller y jeter un coup d’oeil.

L’arrêt de l’ascenseur marqua aussi celui de ses réflexions. Les hommes le firent sortir sans le quitter d’un pas dans un large corridor et le firent s’arrêter devant une porte sur laquelle se détachait en lettres brillantes :

 

SOCIETE DES METEORITES
Direction Générale

 

Hedrock savait fort bien que cette enseigne n’était fausse qu’à demi. C’est-à-dire que la gigantesque société minière existait bel et bien, exploitant la matière première et produisant aussi des produits finis. Mais on ignorait qu’elle n’était qu’une filiale de la Guilde des Armuriers ; celle-ci n’apparaissait nullement au grand jour, mais les divers bureaux de la société n’étaient que des façades derrière lesquelles le monde des Armuriers s’affairait.

Lorsque Hedrock pénétra dans les grands bureaux qui faisaient suite à la porte, un bel homme de haute taille, âgé d’une quarantaine d’années, apparut dans le hall à quelques mètres, refermant derrière lui une porte opaque. Ils se reconnurent presque simultanément. L’homme eut un tout petit instant d’hésitation, à peine perceptible, puis se dirigea vers Hedrock avec un sourire amical.

— Alors, cher monsieur Hedrock, comment va l’Impératrice ?

Le sourire de Hedrock fut plus sec : l’hésitation du grand spécialiste en divination ne lui avait pas échappé.

— J’ai le plaisir de vous faire savoir qu’elle se porte fort bien, monsieur Gonish.

Edward Gonish rit, d’un bon gros rire.

— J’ai bien peur, dit-il, qu’il n’y ait des tas de gens qu’une telle nouvelle puisse attrister. Dans le moment présent, le Conseil tente d’utiliser mes dons intuitifs pour connaître le secret de l’Impératrice. J’étudie les fiches Pp des grands hommes connus ou à venir. C’est un bien pauvre dossier, qui me fournit à peine dix pour cent des renseignements dont j’ai besoin. Je n’en suis qu’à la lettre M et je suis déjà tenté de tirer des conclusions. S’il s’agit d’une invention, je dirai qu’il s’agit du voyage interstellaire. Mais c’est là seulement une très vague intuition.

— Le voyage interstellaire ! s’écria Hedrock, fronçant le sourcil. Je crois qu’elle s’y opposerait... (Il se tut un instant et reprit, plus grave :) Mais non, vous avez deviné juste ! Vite, il faut découvrir qui est l’inventeur.

— Ne nous pressons pas tant, dit Gonish en riant encore une fois. Il faut que j’aille jusqu’au bout du fichier. Mais si cela vous passionne, je puis vous dire que je m’intéresse à un savant du nom de Derd Kershaw.

Et soudain son regard rieur se fit grave. Le psycho-devin adressa une grimace à Hedrock.

— Mais enfin, dit-il avec angoisse, qu’est-ce que cette diable d’histoire, Hedrock ? Qu’avez-vous fait pour vous trouver en pareille compagnie ?

— Monsieur Gonish, je ne puis permettre au prisonnier...

C’était Peldy, l’officier de la police secrète de la Guilde qui s’était avancé et avait ainsi parlé. Le fier regard du psycho-devin se posa froidement sur lui.

— Cela suffit comme cela, dit-il. Veuillez vous retirer hors de portée de voix. Je désire parler avec M. Hedrock, seul à seul.

— Je vous demande pardon, monsieur, dit Peldy en s’inclinant. Je me suis oublié.

Il s’écarta et appela ses hommes. Il y eut un conciliabule, des questions murmurées, mais cependant il ne fallut pas plus d’une minute pour que Hedrock se trouvât seul avec Gonish tandis que le premier choc des paroles de l’officier de police s’éteignait en lui en vagues douloureuses. Prisonnier ! Bien sûr, il ne l’ignorait pas, d’une certaine façon, mais il avait cherché à se persuader qu’il était simplement soupçonné – et il s’était dit que ses dénégations suffiraient à persuader les chefs de la Guilde de clore l’affaire.

Mais on n’en était plus là désormais, à supposer que l’affaire se fût jamais limitée à cela. Déjà le soupçon avait dû franchir les milieux bien informés du Conseil. Le sablier coulait pour lui. Pourtant Gonish continuait à parler.

— Ce qu’il y a de pire, c’est qu’ils ont refusé de m’écouter quand je leur ai dit qu’il fallait y renoncer, qu’il était inutile de faire de la psycho divination sur pareil thème pour un sur-esprit comme moi. C’est terrible. Pourriez-vous me donner une idée ?

— Tout ce que je sais, dit Hedrock en secouant la tête, c’est que, voici deux heures, ces messieurs du Conseil craignaient que je ne sois exécuté par l’Impératrice. Ils ont donc envoyé des forces à ma rescousse – or, il apparaît maintenant que j’ai été arrêté par eux et le suis toujours.

— Si vous pouviez les écarter d’une façon ou d’une autre, dit pensivement le géant Gonish. Je n’en sais pas assez sur la psychologie des conseillers ni sur l’affaire pour vous proposer de résoudre le problème par mon intuition technique, mais je crois que si vous parveniez à faire évoluer l’affaire en opposant des preuves aux leurs, vous auriez plus ou moins gagné. C’est un organisme qui voit toujours les choses d’un peu haut : il ne faut pas que vous preniez leurs décisions pour paroles sacrées !

Et Gonish s’écarta, d’humeur morose, pour disparaître derrière une porte. Hedrock vit arriver Peldy.

— Veuillez me suivre, monsieur, dit le jeune homme. Le Conseil désire vous voir immédiatement.

— Comment ? dit Hedrock, tandis que le bien que lui avait fait la sympathie de Gonish s’évanouissait en lui. Voulez-vous dire que le Conseil est réuni dans la salle des séances ?

Il ne reçut pas de réponse et n’en espérait d’ailleurs aucune. S’il avait posé cette question, c’était seulement pour la forme. Qu’importait ! Très raide, il suivit l’officier de la police secrète vers la salle des séances du Conseil.

Les hommes assis à la table en forme de V levèrent les yeux vers lui lorsqu’il franchit le seuil. La porte se referma derrière lui avec un léger déclic et il s’avança vers la table. Comme la vie est étrange : deux ans plus tôt, il avait refusé de se porter candidat à un siège au Conseil. Les conseillers étaient d’âges divers, allant du cadre brillant dans la trentaine, style Ancil Nare, jusqu’au vénérable Bayd Roberts. Certains visages ne lui étaient pas familiers. Hedrock comptait les visages, pensant au conseil de Gonish de répondre au procès qu’on lui ferait par des contre-preuves. Cela impliquait de parvenir à les faire sortir de leur routine et de leur autosatisfaction. C’est avec stupéfaction qu’il acheva de les compter : ils étaient trente. Le Conseil de la Guilde des Armuriers était présent au grand complet ! Qu’avaient-ils donc bien pu découvrir sur son compte pour s’être ainsi tous réunis ici, aussi rapidement ? Il s’imaginait ces responsables, atteints à leur quartier général plus ou moins proche, sur Mars ou Vénus, sur ces lunes qui avaient des représentants exaltés – partout dans la galaxie, les conseillers avaient reçu l’avis sur le télestat vibratoire et, aussitôt, ils s’étaient dirigés vers ce lieu.

Tous. Et pour lui. Voilà qui était surprenant. Réconfortant aussi. Les épaules rejetées en arrière, pleinement conscient de l’allure de sa tête léonine, de sa noble apparence, conscient aussi des générations d’hommes comme ceux-là qui avaient vécu et étaient morts, dont les descendants des descendants avaient vécu et étaient morts aussi, depuis sa propre naissance, Hedrock rompit le silence.

— Quelle accusation portez-vous ? demanda-t-il d’une voix claironnante, mettant dans ces mots tout le pouvoir de sa voix exercée à la parole publique, toute la vaste expérience qu’il avait acquise à force de s’occuper de tous les types d’hommes et de groupes humains imaginables.

Ces mots ainsi prononcés de manière vibrante étaient bien davantage qu’une question. Ils exprimaient une volonté déterminée, ils manifestaient l’orgueil et la supériorité de l’être qui les avait prononcés. Ils étaient aussi dangereux que la mort elle-même. Ils signifiaient qu’il acceptait que sa présence en ce lieu le menât à une exécution. Ils avaient pour but de lui donner l’avantage, en jouant sur une réalité essentielle : le peu de goût qu’ont toujours eu, au cours de l’Histoire, des hommes hautement intelligents à détruire leurs pairs. Or, tous les hommes qui étaient là devant lui étaient suprêmement intelligents. Qui d’autre dans cet univers pouvait agir mieux qu’eux, qui pouvait s’estimer et se sentir supérieur à eux, sinon le seul humain immortel sorti de la race fière de la Terre ?

Un brouhaha se produisit autour de la table. Des pieds frappèrent le tapis. Certains se tournèrent, se regardant, les yeux interrogateurs. Ce fut finalement Peter Cadron qui se leva.

— On m’a demandé, dit-il calmement, de parler au nom du Conseil, puisque je suis à l’origine de l’accusation portée contre vous. (Il n’attendait pas de réponse, et après avoir scruté lentement le visage des conseillers, il poursuivit d’un ton grave :) Je suis certain que tous les représentants ici présents ont soudain pris conscience d’une façon très vive de la personnalité de M. Hedrock. Il est intéressant de noter à quel point cette démonstration de pouvoirs que habituellement vous cachez, corrobore ce que nous avons découvert. Je dois avouer que je suis moi-même stupéfait de la puissance de la force qui est en vous.

— C’est mon opinion aussi, interrompit un individu au visage lourd, Deam Lealy. Jusqu’à cette minute j’avais toujours cru que Hedrock était un individu qui ne disait pas un mot plus haut que l’autre, un homme réservé. Et voici qu’il se lance dans la bagarre, qu’il jette feu et flammes.

— Cela ne fait aucun doute, dit le jeune Ancil Nare, nous avons découvert quelque chose d’assez extraordinaire. Il va falloir que nous obtenions de plus amples explications.

C’était déconcertant. Le résultat de son action dépassait de loin son intention, elle était déformée par l’attente de gens qui supposaient qu’il n’était pas ce qu’il paraissait être. A la vérité, s’il était supérieur à ces hommes, c’était comme certains d’entre eux l’étaient à certains autres. Se savoir immortel n’avait jamais fait qu’accroître à l’extrême la confiance qu’il avait en lui-même. Il y avait bien sûr cette personnalité authentiquement à part, particulière, extra-temporelle, qui avait amené le développement d’une aura extra-normale qu’il pouvait faire disparaître et que, la plupart du temps, il avait presque toujours fait disparaître, en affichant une sorte de désinvolture. Le seul fait de révéler la plénitude de sa puissante personnalité au moment où ceux-ci cherchaient à la connaître n’avait abouti qu’à le faire considérer comme un étranger – c’est-à-dire un extra-terrestre. Il allait se trouver face à un dangereux retour de flamme, et il devait immédiatement modifier sa position.

— C’est ridicule, dit-il. Voici une heure, je me trouvais dans la situation la plus dangereuse que j’aie jamais connue, depuis des années que je suis au service de votre organisation. Cette situation était même si grave que je crois pouvoir dire sincèrement que nul autre que moi ne s’en serait sorti vivant. Or, quelques minutes à peine après avoir subi cette tension exceptionnelle, je me suis trouvé mis en état d’arrestation par mes propres amis, en fonction d’une accusation qui ne m’a pas été signifiée. Si je suis furieux ? Certes. Mais ce qui me surprend le plus, c’est cet étrange non-sens qui vous fait me prêter une personnalité extra-humaine. Me trouvé-je devant la Chambre Haute de la Guilde des Armuriers ou devant une palabre au coin du feu, avec des sorciers aborigènes cherchant à chasser les démons ? Je demande à être traité comme un adhérent loyal des Armureries, comme un être humain dont le casier planétaire ne comporte aucune marque infamante ; comme un homme et non comme un monstre. Et c’est pourquoi je vous répète : quelle accusation portez-vous contre moi ?

Après un silence, Peter Cadron dit :

— Vous saurez cela en temps utile. Mais d’abord... monsieur Hedrock, où êtes-vous né ?

Ainsi, ils en étaient arrivés  ?

Il n’éprouvait aucune crainte. Il n’était qu’un peu triste, conscient qu’on allait s’amuser, que son vieux croquemitaine était de retour après des siècles d’oubli. Pendant un long moment, toute la longue série des noms qu’il avait portés défila devant ses yeux. Comme il les avait bien choisis, au début, soignant l’assonance, le rythme, l’allure qu’ils avaient une fois imprimés. Puis son impatience devant des patronymes hauts en couleur avait suscité de sa part toute une série de réactions satiriques : Petrofft, Dubrinch, Glinzer. Mais cette phase aussi était passée et maintenant, depuis des siècles, il se contentait de noms très ordinaires, sans ornement, pour distinguer son inchangeable personnalité. Il y avait bien sûr le fait qu’à tout patronyme devait correspondre un lieu de naissance et tout un tas de renseignements vraisemblables – tout cela était très ennuyeux. Il était possible aussi qu’il fût devenu quelque peu imprudent, à force.

— Vous avez mon curriculum vitae, dit-il. Je suis né en Centralie, dans les États du Lac Moyen.

— Vous avez mis bien longtemps à répondre à cette question ! s’écria un conseiller.

— J’essayais, dit Hedrock sans se troubler, d’imaginer ce qu’il y avait derrière cette question.

— Quel est le nom de votre mère ? dit Cadron.

Hedrock, tout à fait surpris, examina l’allure calme de cet homme. Ils n’espéraient tout de même pas le confondre de façon aussi simpliste.

— Delmyra Mareter, répondit-il.

— N’avait-elle pas trois autres enfants ?

— Mes deux frères et ma soeur, dit Hedrock, faisant un signe de tête, sont tous morts avant d’avoir atteint leur majorité.

— Quand donc sont morts votre père et votre mère ?

— Mon père voici huit ans et ma mère il y a six ans.

Chose surprenante, cela devenait tout à coup très pénible pour lui. Il y eut un instant très dur pendant lequel il lui sembla impossible de donner ces détails intimes concernant deux aimables quinquagénaires qu’il n’avait jamais rencontrés, mais à propos desquels il s’était contraint à apprendre tant de choses. Il se rendit compte que Cadron souriait aux autres conseillers, manifestant une sombre satisfaction.

— Vous voyez, messieurs, dit Cadron, nous avons sous les yeux un homme dont les parents sont décédés, qui n’a aucun parent vivant, et qui, voici moins de dix années, alors que tous les siens étaient morts, est entré d’une façon tout à fait normale au service de la Guilde des Armuriers. Et comme il présentait des talents que, même en ignorant la réalité de sa super-personnalité, nous considérions comme extraordinaires, il est parvenu tout en refrénant son caractère exceptionnel à une position qui ne l’était pas moins, et ce rapidement. En conséquence de cela, il nous a amenés à le soutenir dans la présente aventure. Nous avons accepté parce que nous craignions que l’Impératrice ne nous causât quelque tort si nous ne la surveillions pas plus qu’autrefois. Or, le problème important que nous avons à examiner pour l’instant est de savoir si, parmi les dizaines de milliers de bons serviteurs sur lesquels peut compter notre organisation, il s’en trouve un seul autre, à part celui-ci, dont on puisse penser qu’il ait depuis six mois servi les intérêts de l’Impératrice Innelda.

— Et surtout, dit Hedrock, lui coupant la parole, s’il a depuis ce jour été banni de son entourage. Peut-être cela ne vous paraît-il pas intéressant, mais il n’en reste pas moins que tel est le résultat de tout le remue-ménage qui s’est produit au palais aujourd’hui. Pour vous donner une information plus précise, j’ajouterai que je suis banni du palais pour deux mois.

— Ne perdez pas le souvenir de cela, dit Peter Cadron, le saluant poliment avant de se tourner à nouveau vers les conseillers. Mais nous allons cependant continuer à l’interroger sur son éducation. N’est-ce pas ? dit-il, en lançant un coup d’oeil à Hedrock.

— Ma mère, dit Hedrock, était professeur d’université. Elle m’a servi de précepteur. Comme vous savez, cela fut assez commun pendant des siècles dans un certain milieu, étant entendu qu’il suffisait qu’on passât les examens. Vous pourrez découvrir les traces de mes diplômes.

Le triste sourire était revenu sur le visage de Peter Cadron.

— Vous avez une famille sur le papier, dit-il, une éducation sur le papier ; toute votre vie n’est vérifiable que par des documents.

Les choses se présentaient assez mal : Hedrock n’avait pas besoin de considérer le visage des conseillers pour s’en rendre compte. Mais ce risque était inévitable. Il n’avait pas eu le choix. C’eût été un suicide de sa part que de se fier à une personne vivante pour témoigner de son identité. Si amis fussent-ils avec vous, si bien payés fussent-ils, les gens pouvaient toujours être amenés à dire la vérité. Cependant, nul ne pouvait jeter autre chose qu’un douteux soupçon sur un papier rempli dans les règles. Aussi Hedrock se refusait-il à croire qu’ils eussent approché de la vérité.

— Allons, soyons sérieux, dit-il. Que cherchez-vous à prouver ? Si je ne suis pas Robert Hedrock, qui suis-je donc ?

Il éprouva un certain soulagement à voir le désarroi qui se peignait sur le visage de Cadron.

— C’est bien ce que nous cherchons à déterminer, dit finalement celui-ci. Mais permettez-moi une autre question. Après le mariage de vos parents, votre mère n’a pas conservé de rapports avec ses camarades d’université, n’est-ce pas ?

Hedrock eut un moment d’hésitation et fixa le regard brillant de curiosité des conseillers.

— Cela convient à votre argumentation, monsieur Cadron ? dit-il enfin d’un ton sec. Mais vous avez raison. Nous vivions dans des appartements. Le travail de mon père nous amenait à de fréquents déplacements. Je doute que vous puissiez trouver quelqu’un qui se souvienne de nous avoir rencontrés, eux ou moi. Nous avons vécu réellement une existence cachée.

Il y avait pour lui une sorte de victoire psychologique dans le fait d’avoir plus ou moins mis sur le tapis le thème de l’accusation, mais Hedrock, avec une ironie amère, s’en rendait compte : il se trouvait face à des accusations malveillantes dont il était difficile de venir à bout.

— Nous admettons, monsieur Hedrock, dit Cadron qui avait repris la parole, qu’il n’y a pas de preuves et que ce n’est pas cela que nous cherchons. Les Armuriers ne vous font pas à vrai dire un procès. Ils jugent. Leur seul critère n’est pas la preuve de la culpabilité, mais le bénéfice du doute. Si vous n’aviez pas atteint un poste aussi important, votre peine serait fort simple. Vous seriez amnésié et retiré du service actif. Mais au point où en sont les choses, vous en savez trop sur nous, et conséquemment la peine doit être plus sévère. Vous savez bien que, dans notre situation actuelle, nous ne pouvons pas agir autrement. Par bonheur pour la paix de nos esprits, nous avons d’autres soupçons. Avez-vous quelque chose à ajouter à ce qui a déjà été dit ?

— Rien, dit Hedrock.

Il demeurait immobile, réfléchissant à la situation. Maintenant, il lui fallait reprendre l’initiative. Il considéra le sol, les murs, et surtout le panneau qui se trouvait à sa droite, et son regard s’arrêta sur celui-ci avec amertume et ironie. Il avait à l’origine, manoeuvrant discrètement, persuadé la Société des Mines des Météores d’installer ses bureaux non loin du toit de l’Hôtel Royal Ganeel, parce qu’il lui avait semblé que le quartier général clandestin des Fabricants d’Armes dans la cité impériale courrait ainsi moins de risques. Pour assurer cependant sa propre protection, il avait évité de cacher dans les alentours de leurs bureaux ces anneaux vibratoires de contact dont il avait présentement le plus grand besoin. S’il n’avait pas eu ce réflexe de précaution, il y aurait eu à cet instant un anneau derrière le panneau qu’il considérait.

Peter Cadron parlait, exposant enfin l’accusation tout du long. Hedrock eut d’abord du mal à fixer son attention sur les mots que prononçait le conseiller. Ils tournaient autour de lui, sans entrer dans ses oreilles. Il était aussi trop tendu, trop conscient de la précarité de sa situation. Cadron parlait de l’envoi de renforts et de la fixation du moment de leur atterrissage en fonction de l’affirmation de Hedrock selon quoi l’Impératrice passerait aux aveux pendant le repas. Naturellement, pour parvenir à prendre une décision, les psycho-devins avaient soigneusement examiné les horo-dossiers de Hedrock – et c’est alors qu’ils avaient fait une découverte extraordinaire.

Peter Cadron marqua un temps d’arrêt. Son regard se fixa sur Hedrock et il sembla un instant chercher dans ses traits quelque secret renseignement.

— Il y a une grande différence entre votre courage dans l’action et votre potentiel enregistré par les machines Pp. À en croire ces dernières, vous n’eussiez même pas envisagé de rester à ce dangereux repas au palais.

Cadron se tut. Hedrock attendit qu’il eût fini. Les secondes passaient et il s’aperçut soudain avec stupéfaction que tous ces hommes l’examinaient en détail. Ils attendaient sa réaction. Tout était fini. Telle était l’accusation. Pendant un moment, il se sentit comme un homme délivré d’un grand poids. Après tout, c’était ridicule. Le rêve se limitait à la réalité de la présence de ces trente conseillers. A vrai dire, ils n’eussent pas été tous réunis ici pour jouer à la cour suprême si quelque élément protecteur essentiel de la Guilde n’avait été menacé.

La technique de l’enregistrement Pp ! Hedrock essaya de se rappeler tout ce qu’il connaissait à propos de cette machine. Cette invention originale des Armuriers avait maintenant quelques millénaires. Au début, elle était assez semblable à la Surveillante Mentale Lambeth des impériaux. On l’avait peu à peu perfectionnée. On avait élargi son champ d’action, son pouvoir de mesurer l’intelligence, la stabilité des émotions, et bien d’autres choses. Mais jamais cet appareil n’avait créé de soucis à un homme comme lui, qui était capable de dominer l’expression de ses réactions. A l’époque où il avait été testé par la machine, il s’était arrangé pour synchroniser ses moyens intellectuels réels et la personnalité fictive dont il avait décidé qu’elle conviendrait le mieux aux buts qu’il poursuivait chez les Armuriers.

Hedrock secoua la tête comme un cerf aux abois. Du diable s’ils avaient trouvé le pot aux roses !

— Ainsi, dit-il d’une voix qui lui parut dure à lui-même, ma bravoure réelle dépasse de 5 % ma bravoure potentielle ! Je ne puis croire cela. La bravoure est affaire de circonstances. Un couard devient un lion si on lui en donne les moyens.

Malgré lui, il se forçait. Sa conviction était moins évidente et son angoisse l’était davantage.

— Messieurs, dit-il, je crois que vous ne vous rendez pas bien compte de ce qui se passe. Nous n’avons pas seulement affaire à la fantaisie d’une impératrice qui s’ennuie. Innelda est une personne adulte, sauf en certains détails – et nul ne doit oublier que nous entrons dans la cinquième période de la Maison d’Isher. A tout moment, des événements graves peuvent surgir, produits par le courant souterrain de l’agitation humaine. Vingt milliards d’esprits s’agitent, mal à l’aise, en révolte. Les nouvelles frontières de la science et les relations nouvelles qu’elles peuvent promouvoir parmi les hommes sont à l’écart des pensées immédiates. Quelque part va surgir de cette masse chaotique la cinquième crise de proportions cosmiques dans l’histoire de la civilisation d’Isher. Seule une découverte de très haut niveau peut porter l’Impératrice à afficher une attitude aussi catégorique à un tel moment. Elle a dit qu’elle me rappellerait dans deux mois, peut-être moins. Ce sera sûrement moins. Mon impression, et je ne saurais trop insister, est qu’avec un peu de chance nous avons deux à trois jours devant nous. Deux semaines, c’est pour moi la limite maximum.

Il avait repris sa maîtrise. Il vit Cadron essayer de parler, mais il se lança, emplit la pièce de sa voix :

— Toutes les forces de la Guilde doivent se concentrer dans la ville impériale. Chaque rue doit avoir son agent. La flotte doit être mobilisée. Nous devrions tous être sur le pied de guerre. Et pourtant que faites-vous ? Le puissant Conseil des Armuriers perd son temps à discuter obscurément pour savoir si un homme a été oui ou non plus courageux qu’il n’aurait dû !

Il se tut, sentant qu’il ne les avait pas impressionnés. Les conseillers étaient demeurés de glace. Peter Cadron rompit le silence d’une voix sans émotion :

— La différence, dit-il, est de 75 %, non de 5 %. C’est quelque chose en matière de bravoure. Et nous allons en parler un peu.

Hedrock soupira, comme pour reconnaître sa défaite. Il se sentit mieux. Amer, il s’avoua que, contre toute raison, il avait gardé quelque espoir. Il n’en conservait plus maintenant. La crise qui venait de se produire provenait d’une connaissance scientifique dont le contrôle lui avait échappé. Une fois de plus, leurs parfaites techniques avaient élargi le fossé entre leurs possibilités pratiques de menacer sa personne et son pouvoir de contre-attaque. En vain avait-il tenté de les persuader. Sa vie actuelle dépendait maintenant de circonstances momentanées. Cadron avait repris la parole et il l’écouta avec attention.

— Je puis vous assurer, monsieur Hedrock, disait-il avec une évidente sincérité, que nous sommes tous désolés d’avoir à accomplir un tel devoir. Mais la preuve est insistante. Voici ce qui s’est produit : lorsque nos psycho-devins ont découvert la variation, deux équations cérébro-géométriques ont alimenté la machine Pp. L’une constituait une base établie en fonction de ce qu’on savait déjà de votre cerveau ; la seconde constituait une estimation à partir d’un accroissement de 75 % de chacune de vos fonctions cérébrales. De chacune de vos fonctions, je répète, et pas seulement du courage. Entre autres choses, ceci portait votre quotient intellectuel au chiffre formidable de deux cent soixante-dix-huit.

— Toutes les fonctions, dites-vous, rétorqua Hedrock. Je suppose que vous faites entrer aussi en ligne de compte l’idéalisme et l’altruisme.

Les conseillers le regardèrent avec une certaine gêne et Cadron poursuivit :

— Monsieur Hedrock, un homme qui possède un altruisme aussi grand que le vôtre ne saurait considérer les Armureries d’Isher que comme l’un des éléments d’un plus grand enjeu. La Guilde des Armuriers ne peut avoir l’esprit aussi large. Mais laissez-moi poursuivre. Dans les deux configurations cérébro-géométriques dont j’ai fait état, on a également introduit dans les mémoires la très complexe configuration de l’Impératrice et, la vitesse étant essentielle, l’influence aléatoire d’autres esprits sur la situation a été réduite à une constante de haut niveau, modifiée par une simple variable oscillatoire...

Malgré lui, Hedrock se mettait à l’écouter avec attention. Bien qu’il sût qu’il lui fallait, pour sa sécurité personnelle, l’interrompre aussi souvent que possible, il se laissait prendre aux détails d’une science qui avait fait de si grands pas sans qu’il se préoccupât de l’apprendre avec sa faculté de compréhension rapide. Les graphes du cerveau, les intégrales des émotions, autant de curieuses constructions mathématiques qui prenaient leurs sources dans les obscures impulsions de l’esprit et du corps humain. Il était plus attentif que jamais tandis que Cadron poursuivait la terrible analyse :

— Le problème, messieurs, comme je l’ai dit, était de nous assurer que notre équipe de secours n’arriverait pas au palais trop tôt ni trop tard. On put établir, en fonction du graphe fondé sur votre vieux Pp, que vous ne quitteriez jamais le palais vivant, à moins de l’intervention d’une inconnue du troisième degré en votre faveur. On abandonna aussitôt cette configuration. La science ne peut tenir compte d’un miracle éventuel. La seconde projection, qui avait pour pivot 1 h 40 de l’après-midi, comportait une possibilité d’erreur de quatre minutes. C’est pourquoi l’atterrissage fut effectué à 1 h 35 ; deux minutes plus tard, nos faux laissez-passer impériaux étaient acceptés. A 1 h 39 vous émergiez de l’ascenseur. Vous voudrez bien admettre que cette preuve est concluante.

C’était un cauchemar. Pendant toutes ces années où il avait vécu en faisant soigneusement des plans, en établissant sagement les structures qui correspondaient à ses espérances, il avait sans le savoir abandonné son sort à la machine Pp, sans doute la plus grande invention qu’on eût jamais mise au point en matière d’investigation de l’esprit humain. Hedrock, tout à sa songerie, ne s’était pas aperçu tout de suite qu’un autre conseiller, un vieil homme aux cheveux gris, avait pris la parole.

— En raison, disait-il, du fait qu’il ne s’agit pas d’une affaire criminelle au sens ordinaire du terme, en raison aussi des services que M. Hedrock a rendus à notre organisation dans le passé, je crois que nous pouvons l’assurer du sérieux avec lequel nous prenons en considération les projets de l’Impératrice. Pour votre information, jeune homme, sachez que nous avons ici multiplié par cinq notre état-major. Peut-être en raison de votre angoisse, ne vous êtes-vous pas rendu compte que l’ascenseur, depuis l’aéroport du toit, descendait beaucoup plus bas que d’habitude pour parvenir à la salle du Conseil. Nous avons pris pour nous sept étages de plus dans l’Hôtel et notre organisation y travaille sans arrêt. Malheureusement, en dépit de votre émouvant appel, je ne puis qu’être d’accord avec M. Cadron. Les Armureries d’Isher, étant ce qu’elles sont, ne peuvent qu’apporter un soin cruel à des cas comme le vôtre. Je dois reconnaître que la mort est la seule sentence possible.

Autour de là table, il y eut des hochements de tête approbateurs et des voix murmurèrent : « Oui, la mort... la mort... sans délai...»

— Un moment ! (La voix terrible de Hedrock s’était élevée au-dessus de ce murmure confus.) Voulez-vous dire que cette salle du Conseil ne se trouve pas dans la partie de l’immeuble occupée auparavant par la Société des Météorites ?

Ils le considérèrent avec stupéfaction, tandis qu’il se précipitait, sans attendre de réponse, droit vers un panneau ornemental qui brillait faiblement sur le mur situé à sa droite. C’était beaucoup plus simple qu’il ne l’avait imaginé dans ses rêves d’évasion les plus fous. Nul ne s’interposa pour l’arrêter, nul ne sortit une arme. Il atteignit le panneau secret, y ajusta ses doigts selon la technique inconnue des autres, et l’anneau de contact, glissant hors de sa cachette, vint prendre place sur son index. D’un même mouvement, avec un synchronisme parfait, il dirigea l’éclat vert de l’anneau sur l’appareil vibratoire – et disparut dans le transmetteur.

Hedrock ne perdit pas de temps à examiner la pièce familière dans laquelle il se trouvait. Elle était située dans des caves, à trois mille kilomètres de la cité impériale ; des machines y étaient animées d’une sourde pulsation, des appareils y brillaient. Ses mains agrippèrent un levier sur le mur. Lorsqu’il abaissa le levier, l’énergie libérée produisit un grand sifflement. Il songea une minute à tous ces anneaux de contact, à tous ces appareils qui en cet instant se dématérialisaient pour toujours dans leurs caches de l’Hôtel Royal Ganeel. Ils avaient cessé d’être utiles. Il ne pouvait plus espérer échapper aux Fabricants d’Armes que par surprise. Il se détourna du mur et se dirigea lentement vers une porte, et c’est alors, au dernier instant, qu’il vit le danger mortel qui le menaçait et essaya de sauter en arrière.

Trop tard. Le monstre de cinq à six mètres de haut fonçait sur lui. Véritable marteau-pilon, ses pattes l’envoyèrent rouler contre le mur, étourdi, à demi inconscient. Il essaya de bouger, de se lever – et il vit le gigantesque rongeur blanc se rapprocher de lui, ouvrant sa terrible mâchoire pour l’achever.

 

Les fabricants d'armes
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